ACTUALITÉS / ÉDITORIAL
Études urbaines : commande publique, commande privée
Tous urbains n° 25
Collectif, 2019. Éditions PUF, Paris
Bogota : Ville et lotissements
Vue d’en haut, d’avion ou depuis la terrasse de Montserrat qui domine la ville de quelques 400 m, Bogotá se présente aujourd’hui comme l’urbanisation continue et totale de l’Altiplano, soit environ 35 km du nord au sud sur une quinzaine de kilomètres d’est en ouest. C’est moins que la commune qui compte 1776 km² mais comprend une part de montagnes dont les pentes raides et protégées limitent l’urbanisation. Bordée de reliefs sur trois côtés, la ville ne s’ouvre vraiment que vers le nord où au-delà des limites communales l’Altiplano mélange réserves naturelles et agriculture. Les montagnes s’abaissent vers le sud et un moment à l’ouest pour laisser passer la rivière qui va se jeter plus bas dans le Rio Magdalena, le grand fleuve de la vallée centrale. Si les premiers piémonts sont généralement urbanisés, les parties plus hautes ne le sont pas et entourent d’une couronne forestière la ville (1).
Vue du sol, Bogota semble partagée en quelques grandes catégories. Il y a le centre-ville, soit la ville coloniale : la Candaléria, (0,3 % de la surface urbanisée) calée à l’est contre les piémonts, qui se prolonge par le centre moderne qui a développé autour de la ville ancienne les grandes institutions, des quartiers d’affaires et de commerces, ainsi qu’au nord-est des groupes de tours en briques assez soignées qui représentent le logement des riches. Au-delà, le tissu résidentiel englobe les petits noyaux secondaires, villages ou bourgs ruraux qui subsistent parmi les constructions plus récentes. Il est principalement formé de lotissements de maisons que cotoient de nombreux grands ensembles de logements sociaux, cousins des nôtres mais d’une densité nettement plus forte. Ça et là de vastes zones d’activités spécialisées où se succèdent hypermarchés et usines modernes, entrepôts, fabriques anciennes, marquent une défiance du zoning. Il reste des terrains en attente, l’aéroport qui suscite le développement d’un centre d’affaires moderne avec ses hotels internationaux et ses commerces spécialisés.
Reliant tout cela, un réseau de grandes voies : avenues et voies rapides, certaines parcourues par le transmillenum, super-bus articulé en site propre, cela n’évite pas à certaines heures une circulation ralentie sur des kilomètres. Enfin on trouve plusieurs quartiers informels, certains vastes, majoritairement sur les piémonts où leur existence non-planifiée n’est pas synonyme de marginalisation ni d’extrême pauvreté comme c’est le cas dans les secteurs délaissés que longent les grandes infrastructures.
Des plans anciens montrent le moment où l’urbanisation encore discontinue occupe néanmoins l’ensemble du site en développant des villages autour des fermes et des haciendas qui jalonnent le territoire agricole. Puis depuis une quarantaine d’années c’est le lotissement des grandes propriétés agricoles couplé avec la création des grandes voies qui forme le processus majeur de l’urbanisation.
Lotir n’est pas une nouveauté dans l’Amérique hispanique ; le plan des lotissements reprend les principes qui ont guidé les conquistadors, ce que l’on appelle la loi des Indes. Mais l’observer à l’échelle d’une grande agglomération moderne provoque chez un Européen quelques surprises. Si pour une raison quelconque vous décidez d’aller à telle adresse : calle 8, n°44/78, chercher tel tissu que l’on nous trouve que là, vous êtes tout étonné après une course en taxi de plus de 10 km ponctuée par trois échangeurs et plusieurs zigzags, de vous retrouver sur une petite place carrée bordée en vis-à-vis par deux centre commerciaux : Exito et Zapateca, tandis que les deux autres cotés sont constitués d’immeubles et de maisons avec des commerces à rez-de-chaussée. Comme dans la vieille ville, les rues est-ouest, qui mènent vers la montagne, se nomment calle, les perpendiculaires dans le sens de la vallée, carrera. La place est le centre du quartier, le tracé des voies régit l’ensemble, les rues placées à intervalles réguliers déterminent autant de petites opérations qui s’assemblent ici sur un territoire d’environ 25 ha : le quartier de la Castilla.
Le taxi est arrivé par la carrera 78 qui est aussi celle des bus qui desservent tout le secteur de centre de quartiers à centre de quartier. Cette carrera est passante, donc commerçante. Les petites maisons basses d’origine (15 ans peut-être) se sont surhaussées ou ont déjà été remplacées par de petits immeubles, les jardins de devant se sont bâtis pour accueillir commerces ou services ; les médecins, agents immobiliers, assureurs et psycologues voisinent avec les cafés, les marchands de fruits et les boulangers.
Au contraire, plus loin de la place, certaines rues sont piétonnières et gardent une part importante de plantations qui appartiennent à un système qui se poursuit sur les quartiers voisins et révèle un intérêt pour des continuités végétales favorables à la bio-diversité en même temps qu’aux jeux des enfants et au jogging de ceux qui soignent leur ligne.
Avec un peu de pratique vous reconnaissez derrière l’apparence actuelle, les traces des maisons initiales et vous observez avec amusement l’infinie variété des ajustements, compléments, adjonctions ou surélévations que les habitant ont opérés. A la mesure de leurs moyens et de leurs besoins, Plus d’espace pour les uns, un complément de revenu pour les autres, un lieu pour travailler… Et vous vous demandez pourquoi ce qui se passe si simplement et qui permet aux habitants de participer concrètement au façonnement de leur quartier tout en bénéficiant des retombées semble si compliqué ici, chez nous.
Notes
1 – Le territoire communal occupe 1776 km² et comprend 8,7 millions d’habitants, soit une densité globale de 38 h/ha, mais si l’on compte qu’une grande partie montagneuse n’est pratiquement pas construite la majeure partie des habitants sont rassemblés sur 540 km² soit une densité de 160 h/ha.
