ACTUALITÉS / RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT

L’ivresse de la feuille blanche

L'architecture aux Beaux-Arts avant 1968

Philippe Panerai, 2020. Éditions PBA, Paris.

200 pages illustrées n&b et couleurs, préface de Françoise Fromonot.

Version numérique : plateforme Librinova, 15 €.

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couverture livre Philippe Panerai : l'ivresse de la feuille blanche, l'architecture aux Beaux-Arts avant 1968

Extraits


L’admission

L’admission possède une histoire longue, on garde la mémoire d’une première session dès 1809 qui en 1822 prend la forme d’un concours qui sera supprimé après 1968. On peut se présenter à ce concours avec le patronage d’un architecte diplômé DPLG, mais il est plus sûr de le préparer à l’intérieur de l’école et pour cela d’être accepté dans un atelier qui organise un enseignement particulier pour les admissionistes – ainsi nomme-t-on ces élèves qui préparent l’admission – certains disent aspirants. Dès la classe préparatoire se pose donc la question du choix de l’atelier. C’est une question assez simple sans doute pour ceux qui sont dans le milieu, enfants ou parents d’architectes, etc. mais moins facile quand on n’en est pas. Alors on cherche, on a un ami dont le cousin un peu plus âgé a fait des études d’architecture, votre père a déjà eu l’occasion de travailler avec un architecte auquel il demande conseil, c’était mon cas, il a hésité entre Arretche et Vivien, pour finalement choisir le premier dont le nom d’origine basque plaisait à ma mère…

Il y a des ateliers marqués idéologiquement, Lemaresquier dont on évoque la parenté avec Michel Debré, alors premier ministre, est renommé pour ses succès au Prix de Rome et donne l’image de l’académisme conservateur, à l’opposé donc d’un Lods que l’on dit plus proche du PC et qui s’est distingué avant-guerre par ses audaces modernistes.

image extrait du livre : l'ivresse de la feuille blanche, l'architecture aux Beaux-Arts avant 1968

L’oubli du site

Une autre facette de cet écart avec la réalité caractéristique des Beaux-Arts finissants est l’absence de terrain réel qui concerne jusqu’en 1967 la quasi-totalité des projets. Cette absence est double, d’une part l’ignorance du foncier et d’autre part le vague de la situation le plus souvent laissée au choix de l’élève. L’absence de foncier se traduit dans le programme par des données schématiques, une emprise de 400 m2 maximum, une longueur totale inférieure à 80 m, un rectangle de 25 x 60. Pas de voisin, pas de vis-à-vis, pas de rue.

Cette absence a pour conséquence d’inverser le processus logique de conception. Toujours sur des terrains imaginaires, c’est l’organisation des éléments du programme et la mise en page du projet sur la feuille blanche du rendu qui vont dicter le dessin de ce site imaginé. Et cela prend des heures. En effet, le vague de la situation permet à chacun de choisir le terrain qui lui semble le plus propice à mettre en valeur son projet. Ainsi selon ses habitudes ou ses goûts du moment le village de vacances peut-il se situer dans les îles grecques, donc un décor qui accompagnera facilement le groupement de maisons aux façade blanches et à l’absence de décoration, ou au contraire sur les côtes bretonnes avec de solides murs en granit, tandis que l’internat universitaire ou la résidence de l’ambassadeur se trouveront dans un terrain vallonné desservi dans sa limite nord par une route secondaire dissimulée dans la forêt.

image extrait du livre : l'ivresse de la feuille blanche, l'architecture aux Beaux-Arts avant 1968

L’architecture, une affaire d’hommes ?

Quel que soit l’atelier le milieu des architectes est, dans les années 60, particulièrement machiste. Sans doute n’est-il pas le seul, les bizutages de médecine ne sont guère plus tendres et l’École n’est pas un milieu exclusivement masculin comme le sont encore en 1960 la plupart des écoles d’ingénieurs. Dépasser les lieux communs suppose de distinguer deux questions : l’enseignement est-il ouvert aux femmes ? Et si oui, quelle place leur est-elle faite ? On pourrait en ajouter une troisième, et qu’en est-il ensuite dans la profession ?

L’entrée des femmes comme élèves architectes à l’école des Beaux-Arts date de 1897 avec l’admission de Julia Morgan (1872-1957), étudiante américaine déjà diplômée de Berkeley en génie civil et autorisée à se présenter au concours d’admission. C’est trente ans plus tard qu’en médecine où les femmes sont admises dès 1868 et plus qu’à l’université où l’accès des femmes se généralise après 1880, comme on le voit avec la création en 1881 de l’École Normale de Sèvres pour les jeunes filles (mais elles ne sont pas mêlées aux garçons qui restent rue d’Ulm). En revanche il faudra attendre 1962 pour que les femmes soient admises à l’École des Ponts et Chaussées, 1964 pour l’École des Arts et Métiers, 1969 pour les Mines. L’École Polytechnique, longtemps école militaire, n’est ouverte aux femmes qu’en 1972. Institutionnellement donc les Beaux-Arts reflètent avec quelques décalages l’évolution générale d’un pays où longtemps les femmes sont considérées comme mineures (jusqu’en 1945 elles n’ont ni le droit de vote ni pour les femmes mariées la personnalité juridique), mais l’École des Beaux-Arts s’avère plus ouverte que les écoles d’ingénieurs, surtout si l’on prend en compte l’ensemble des sections car la proportion de femmes est plus importante en peinture et en sculpture que chez les architectes.

image extrait du livre : l'ivresse de la feuille blanche, l'architecture aux Beaux-Arts avant 1968